Bonjour,
Une expérience récente de bivouac hivernal, me pousse à rédiger un petit topo sur quelques méthodes permettant de gérer l'isolation des pieds lors d'un séjour prolongé dans la neige. Ce n'est que quelques trucs, il en existe certainement d'autres. Mais, il me semble que tout le monde ne les connait pas, et encore plus ne les applique pas (dont moi : la flemme tue).
Le cadre c'est la rando plaisir, avec du matos "standard", SANS FEU. Pas la face nord de l'Eiger en solo hivernal. Je vais essayer de mettre l'accent sur les bonnes pratiques plus que sur le matos sophistiqué. Normalement, c'est bon pour jusqu'à -10°C voir -15°C nocturne et continuellement sous 0°C diurne dans la neige, en l'absence d'ensoleillement.
Problème :
Lorsque les pieds sont exposés au froid sur plusieurs jours deux types d'atteintes sont possibles. Premièrement, la gelure qui peut être partielle ou profonde. Elle est particulièrement insidieuse aux pieds car elle s'installe souvent sans grande gêne et peut passer pour un simple épisode d'onglée. Deuxièmement, par température proche de zéro et en milieu humide, il faut aussi craindre le "pied de tranché". Ces deux atteintes font partie des risques auxquels ont est exposé dans nos contrées, même sans réaliser des choses extrêmes.
Situation :
Dans nos contrées, il est peu probable de voir se développer ces deux problèmes en une seule journée (en dehors d'une hivernale au Mont blanc...). En une journée les chaussures isolent convenablement, les chaussettes sont relativement sèches et l'activité physique permet de générer de la chaleur. Sur plusieurs jours c'est différent : les chaussures s'humidifient, les chaussettes sont humides et comme on doit se reposer ou avoir une activité statique, les problèmes peuvent arriver.
Déroulement type :
Le premier jour de randonnée, les chaussures et les chaussettes sont sèches et confortables (surtout si on les a mises dans l'habitacle et pas dans le coffre lors du voyage en voiture). La neige c'est très abrasif et c'est souvent humide dans nos contrées (la neige non transformée c'est assez rare). Inévitablement, la chaussure s'imprègne d'humidité, quelque soit la qualité du cuir ou du traitement appliqué. Simultanément, lors de l'effort on transpire et comme le cuir saturé ( d'eau ou de graisse) ou la membrane par temps froid évacuent très mal l'humidité : l'intérieur et les chaussettes sont humides. Lors de la phase statique on se refroidit, la "pompe pied/mollet" ne permet pas une circulation optimale, la chaleur du pied sert à faire s'évaporer l'humidité de la chaussure ou, pire, à faire fondre la neige qui s'est déposé dessus...sur plusieurs jours, c'est difficile à gérer.
Solutions (pistes) :
Il n'existe pas, à ma connaissance, de solutions parfaites et surtout universelles. Néanmoins des "bonnes pratiques" et un matériel adapté permettent de beaucoup mieux gérer le problème. Je vais aller du simple vers le compliqué.
0. Les pieds c'est comme le reste : plus on fait d'effort plus on transpire. Plus on transpire par temps froid, plus on doit évacuer sinon en phase statique cela va nous refroidir. Réguler son allure, ne pas trop se couvrir (accepter d'avoir un peu froid au début de la marche), ventiler sont des clefs. Mais ce n'est pas toujours possible (erreur d'itinéraire, neige profonde, croutée, nuit qui tombe...) et c'est plus difficile d'ajuster en continue ses pieds que le reste.
1. Avoir des chaussures en bon état (cirées/imperméabilisées, y compris les lacets) et surtout à la bonne taille (y compris avec les chaussettes) c'est déjà faire un grand pas vers la solution (facile...). Si la chaussure est une éponge qui ne sèche pas et/ou si elle serre trop le pied, on aura froid. Le port de guêtre ou de stop tout ou de pantalon serrés à la cheville évite d'avoir des infiltrations de neige par le haut de la chaussure. Dans la profonde il faut un lacet pour éviter les remontées par en dessous, dans la croutée de très bonnes guêtres bine ajustées.
2. Dès que possible à l'arrêt penser à remuer ses orteils, pour cela il faut avoir de l'espace au bout des pieds! Penser à réactiver régulièrement la pompe pieds/mollets (marcher ou faire du sur place). C'est le système Pompe pieds/mollets qui active la circulation sanguine dans les pieds, il y a très peu de gros muscle à cet endroit, la chaleur doit être apportée d'ailleurs par la CG.
Penser à régulièrement virer la neige/glace qui s'accumule sur/sous les chaussures : elle va fondre et vous refroidir (les guêtres couvrantes sont un moyen d'éviter ce phénomène et font gagner de l'isolation thermique aux chaussures). S'hydrater abondamment, même si cela implique qu'il va falloir se soulager...on ne boit jamais assez quand l'eau n'est pas courante ou froide.
2. Avoir plusieurs paires de chaussettes. Et si possible des chaussettes que l'on peut faire sécher sur soi. Dans cette optique il est préférable d'avoir deux chaussettes superposées qu'une énorme paire de chaussette (surface d'échange X2 dans le premier cas). C'est bien aussi d'avoir pensé aux moyens de positionner les chaussettes pour les faire sécher (en général sur les épaules posées bien à plat, idéalement entre la première couche isolante et la seconde de type hydrophobe).
3. Changer régulièrement de paire de chaussettes. Il y a plein de gens qui ont froid au pieds mais qui ont "une paire de chaussette de rechange dans le sac". Il faut dire que lorsqu'il faut retirer des guêtres, affronter des lacets glacés, s'extirper de chaussures rigides et exposer ses pieds au froid...le tout en équilibre instable dans la neige : ce n'est pas incitatif. Changer impérativement une fois en statique et particulièrement au bivouac (pensez à mettre aussi un collant ou une surprotection sur les jambes).
4. Etre assez isolé par ailleurs. Si le tronc est trop froid, le corps va naturellement le privilégier et ralentir la circulation aux extrémités. Le moyen le plus simple c'est de régler l'isolation de la tête (enlever/mettre son ou ses chapeaux, son tour de cou, son passe montagne, sa capuche). Les mains aussi sont assez facile à utiliser comme régulateur.
5. De même, le sang ne doit pas trop se refroidir lors de son voyage vers les extrémités. C'est là que le collant et/ou les chaussettes longues sont utiles! Pensez à mettre un collant lors des phases statiques ET faites le.
6. A l'arrêt : pensez à vous placer sur une couche isolante (tas de branches, bout de mousse, raquettes....). A la différence d'un sol froid, la neige ne se réchauffe jamais : elle se contente de fondre sous vous.
Les trucs un peu moins simples (la base étant la rotation/séchage des chaussettes) :
1. Tout le monde pense à prendre une seconde paire de chaussette en hiver. C'est moins courant de penser à prendre une seconde paire de semelle de propreté, or il existe des modèles isolants pour les phases statiques (l'autre peut ainsi sécher). Penser à les changer et....le faire.
2. On peut adopter le système VBL (Vapor Barrier Liner : Barrière Pare Vapeur), très efficace lors des phases statiques (utilisable aussi en dynamique par grand froid). Il s'agit de mettre une barrière imperméable entre le pied et la chaussure. Le plus souvent on met un sac plastique entre la première paire de chaussette fine et la seconde qui isole.
Si la chaussure est trempée, il est possible de mettre une seconde "Barrière Pare Vapeur" qui va protéger la couche isolante de l'humidité des chaussures (elle est prise en sandwich). C'est la méthode la plus légère. Il faut juste veiller à éviter que le pied ne macère trop longtemps dans l'humidité (hygiène, pied de tranchée...) ce qui est plus facile à réaliser lors des phases statiques.
3. On peut décider de mettre les chaussures dans des sacs imperméables. Cela fonctionne surtout en activité. En plus de l'isolation crée par l'éloignement de la neige et du vent, l'idée c'est que la chaleur du pieds va "pousser" l'humidité vers l'extérieur de la chaussure. Elle va alors condenser contre la paroi du sac imperméable, elle peut même y geler : il suffit de sortir le sac et d'éliminer le givre.
Ce système ne permet pas de sécher complètement une paire ce chaussures et les pieds, mais ils seront plus chauds et plus secs qu'en l'absence de sac : l'idée c'est d'éloigner le gros de l'humidité du pieds et si possible de la chaussure. A noter qu'en statique, le gain est là si les chaussures ne sont pas trop trempées : la barrière imperméable évite de mouiller les chaussures avec la neige extérieure qui pompe la chaleur des pieds quand elle se transforme d'une phase à l'autre.
La nuit
La nuit est le point essentiel, puisque nous sommes partis pour plusieurs jours dans la neige. Comme je le disais plus haut : "un jour au froid ça va, plusieurs jours bonjour les dégâts..."
1. La nuit il faut se reposer c'est une obligation chez notre espèce. C'est pourquoi il faut rechercher le CONFORT comme mode "normal" de fonctionnement. Si on est confort en temps normal il y a des chances que, si Murphy s'en mêle, on soit en situation dégradée mais gérable. Si on est déjà limite en mode normal, on risque de laisser une partie de ses arpions en mode dégradé (si vous préférez : "quand les gros maigrissent, les maigres meurent").
2. La première chose à faire au bivouac c'est de se sécher les pieds :
- Il FAUT retirer ses chaussettes du jour (même "sèches").
- C'est bon de se sécher les pieds et les espaces interdigitaux.
- C'est bon de se masser les pieds. C'est encore mieux de se les faire masser, mais des barrières culturelles puissantes existent.
- Je n'aime pas les poudres et pommades en hiver, car comme on doit souvent opérer dans le sac de couchage du fait du froid : c'est vite dégueu (y compris rapidement dans les chaussettes et les chaussures). Se masser simplement et doucement le pied de l'extrémité vers le coeur est suffisant pour moi (activation de la pompe plante/pied/mollet).
3. La seconde chose à faire c'est de dormir les pieds au sec.
- Cela veut dire de garder une paire de chaussette sèche pour la nuit. Elle doit aussi être très propre sinon elle va retenir l'humidité. Elle ne devrait servir qu'à ça et se conserve dans un ziploc.
- Cette paire de chaussette doit être grande de façon à ne pas serrer le pied. Trop grande est bien, en plus cela évite de s'en servir le jour.
- Cette paire de chaussette doit être hydrophobe pour "rejeter" l'humidité du pied. La laine fonctionne, mais les matières synthétiques aussi (alors que le jour c'est rarement bien).
4. La troisième chose à faire c'est de sécher les "consommables" du jour : chaussettes de marche, semelle de propreté.
- La chaussette est portée contre soi (certains la mette sous le bonnet/passe montagne porté la nuit). Normalement c'est votre seconde paire puisque vous avez changé durant la journée ou en arrivant au bivouac (et l'autre est maintenant presque sèche).
- Sur quelques jours, si on pratique le système fine+épaisse c'est bien d'avoir plusieurs fines (qui sont relativement légères par rapport à la couche isolante, ce sont des grammes bine investis pour le confort). Cela permet de porter des chaussettes propres DONC plus isolantes, gardant moins l'humidité et plus hygiéniques
- Les semelles de propreté sont placées à un endroit où elles peuvent sécher : sous mon sac de couchage le plus souvent.
5. Les chaussures.
- On voit souvent la proposition suivante : dans le sac de couchage...OK.
Mais personnellement j'ai rarement vu faire cela dans le cadre d'une randonnée plaisir (je ne parle pas d'alpinisme, ni de chausson interne). Pour avoir pratiqué, un sac de couchage hivernal c'est assez étroit, les pompes d'hiver c'est gros (+humide+froid+aspérités) cela fait une association pas terrible. Mais c'est possible de mettre les chaussures dans deux sacs plastiques : elles ne sécheront pas mais seront "chaudes" le lendemain.
- On peut enterrer les chaussures dans un sac profondément sous la neige. Mais c'est à réserver pour les grands froids. Pas toujours facile de récupérer les chaussures au matin.
- Ma solution habituelle est la suivante : je met les chaussures dans mon sac à dos qui me sert d'oreiller. C'est un compromis qui fonctionne jusque vers -10°C. Le plus souvent il y a d'autres affaires dans le sac, dont une gourde d'eau chaude isolée ou un thermos. Le matin les chaussures ne sont pas gelées.
- La plus mauvaise solution c'est de poser les chaussures sur le sol/neige sans isolation dessous : béton le matin et frigo pour les petits petons
AVEC DU MATOS :
- Mettre dans le sac à chaussure un thermos (grand froid) ou une gourde isolée non pleine le tout dans dans le sac à dos.
- On peut aussi mettre les chaussures "tête bêche" en insérant un thermos dedans.
- Mettre des chaufferettes chimiques (ou à charbon) dans les chaussures : mais attention à ne pas surchauffer les chaussures, car le cuir n'aime pas du tout. Si elles sont trempées c'est pas efficace (risque d'humidification des chimiques lentes et pas assez puissant de toute façon). Mais si on le fait au petit matin, cela réchauffera les chaussures avant de les mettre, à défaut de les sécher.
MANIP DU SOIR :
- Retirer les semelles de propreté, si disponible mettre en "chaussette russe" des essuies microfibres et placer le pied sans serrer fort les lacets en bénéficiant de l'espace dégagé par les semelles de propreté (on peut emporter des chaussettes coton à cet effet mais en l'absence de feu c'est plus dur à sécher, les prendre noires). Garder les chaussures le temps que la microfibre s'imprègne. Retirer les chaussures faire sécher les "chaussettes russes" improvisées qui ont pompées un peu l'humidité.
MANIP DU MATIN
- J'ai les pieds chauds de ma nuit confortable dans les chaussettes de nuit.
- Je prend mon déjeuner avec l'eau chaude du thermos rempli la veille + glucides (pour faire repartir la machine). Je suis toujours dans mon sac de couchage.
- Je me lève, glisse mes pieds dans les chaussures (sans serrer les lacets fort et si possible sans guêtres). Je porte les chaussettes de jour et les semelles contre moi.
- DES QUE JE RESSENT LE FROID : je retire mes chaussettes de nuit et met mes semelles de propreté + chaussettes de jour. Je sèche mes chaussettes de nuit contre moi avant de partir. L'objectif est de pomper un peu d'humidité et de réchauffer les chaussures. Si on a la possibilité des "chaussettes russes micro fibres" on évite d'humidifier ses chaussettes de nuit.
Voilà....Éventuellement je reviendrai pour discuter les options en terme de chaussures (trail, rando, rando goretex, coques, souples, bottes, canadiennes....)
[EDIT] : post complété par la nuit. J'ai fait volontairement simple et réaliste en mettant l'accent sur les bonnes pratiques dans le cadre d'une randonnée plaisir. J'ai certainement oublié ou omis plein de trucs : à vous!